Alors que le Septième Art vient de célébrer son 125ème anniversaire, il est plus que jamais en proie à se renouveler, à être influencé, (au risque d’être dépassé) par les médias audiovisuels plus récents…
Le dispositif de la salle obscure est en crise. Nombreux sont celles et ceux à le déclarer mort sur les territoires qui autrefois hébergeaient les fleurons de l’industrie cinématographique. Et pour cause, l’ère d’Internet et de la technologie 2.0 à renforcer drastiquement les coutumes casanières en matière de consommation des contenus audiovisuels. Il va sans dire que la tendance actuelle est en faveurs des plateformes de streaming et de services de vidéo à la demande. « On se déplace plus au cinéma. Le cinéma se déplace chez nous! » Un adage qui enrage les puristes de la projection mais fait bien l’affaire du grand public, à en voir la multiplication des services cités plus haut et leur chiffre d’affaire croissant.
Beaucoup se montre conciliant et bienveillant avec cette nouvelle mode de visionnage, y voyant un moyen de redonner un second souffle à la création cinématographique en lui faisant rencontrer de nouveau son public…
Seulement, il ne faut pas non plus se leurrer et ignorer que le fait que les films de cinéma ne sont pas (ou ne sont plus) tellement en vogue sur les services de VOD et de streaming. La belle part et faite aux formats télévisuelles, ainsi qu’aux jeux vidéos. Aussi, qu’en est-il de la véritable expérience sensorielle de Cinéma via la diffusions des films sur des écrans de moins de 15 pouces?
Il y a quelques années, un constat majeur était observé par le plus grand nombre. Les séries TV et les jeux vidéos ont connu un tout nouvel essor, suite à un renouvellement de leur contenu, directement influencé par le monde du cinéma. En matière de storytelling, de mise-en-scène et de production artistique, ces deux médiums sont entrés dans une toute nouvelle dimension à s’appropriant les codes cinématographiques pour leur productions naissantes, tout en y développant leur univers original et singulier. Si bien que rapidement, cette démarche dans l’inspiration a fini par s’inverser. Le format sériel et l’univers vidéoludique se sont frayés un chemin sur le Grand Écran, que soit à travers la mise-en-scène comme en production artistique, comme on a pu le voir avec les trois films illustrés dans le diaporama ci-dessous.
De gauche à droite :
–Crank (2006) de Mark Neveldine et Brian Taylor
–Shoot’ Em Up (2007) de Michael Davis
–Scott Pilgrim Vs. The World (2010) de Edgar Wright
Salvateur pour le monde du Cinéma? Et bien… pas vraiment. Car à l’inverse de la série TV et du jeux vidéo, le cinéma, particulièrement celui de divertissement hollywoodien, tend à perdre son identité et de son originalité et l’étendu des sujets se limitent, laissant une place trop importante à l’esthétique du streaming et du jeux vidéo. Cette nouvelle lancée dans le milieu de la production cinématographique s’essouffle déjà, et cette année 2021 va en faire particulièrement les frais…
Trois films sont à l’affiche cette année, période critique pour les studios de cinéma, les distributeurs et les exploitants de salles, et ces trois films sont assez symptomatiques du problème actuel.
À noter qu’il ne sera pas question ici de l’adaptation de Monster Hunter par Paul W.S Anderson ou de Mortal Kombat (ça c’est encore un autre chose).
Et compte tenu de l’agenda compliqué et incertain des sorties en salles depuis plus d’un an déjà, ces trois long-métrages vont se bousculer à l’affiche durant ce printemps 2021, histoire de bien varier la programmation.
On a d’abord, attendu pour le 5 Mars, le film (au titre assez évocateur) Boss Level de Joe Carnahan, avec Frank Grillo, Naomi Watts, Michelle Yeoh, Ken jong et Mel Gibson. D’abord prévu en salle, le film atterrira finalement sur la plateforme Hulu. Soit l’histoire, d’un ancien membre des forces spéciales qui, sur le chemin pour secourir sa bien-aimée, se retrouve coincé dans une boucle temporelle, l’obligeant à revivre sa mort perpétuellement. Rien de bien nouveau sous le soleil, Carnahan semble livrer un film d’action standard et bourrin sur le modèle déjà-vu du « Live.Die.Repeat » ou comme le dit la formule vidéoludique « Try Again », essayant de recréer le divertissement possible avec l’interactivité et le potentiel multiple de storylines permises avec le Jeu Vidéo…
Ensuite, repoussé au 2 Avril, la sortie de Nobody de Ilya Naishuller, réalisateur qui a la particularité d’avoir réalisé, en 2015 le balourd Hardcore Henry un film d’action très énervé, avec le partis-pris de mise en scène super fin de tourner l’intégralité du long Métrage en… FPS* (à la manière d’un jeu de tir à la première personne). Il repasse cette année derrière la caméra pour diriger Bob Odenkirk en ersatz de John Wick, avec des fusillades, des explosions et des hémoglobines à n’en plus finir…
Et pour finir, le 21 mai devrait débarquer en salles Free Guy, le nouveau film de Shawn Levy avec Ryan Reynolds encore coincé dans un énième rôle de comic-relief façon Deadpool… soit un blockbuster qui a la subtilité de mettre l’acteur dans la peau de Guy, véritable NPC* (Personnage Non Jouable) dans le monde d’un jeux vidéo en réseaux, sur le point d’embarquer dans des situations assez « GTA-esques ». Le reste se résume à une avalanche de gimmick et de clin d’oeil pour les plus initiés des Jeux en ligne massivement multijoueur.
Par conséquent, on remarque bien qu’à travers cette mode de production hollywoodienne, le propos cinématographique s’efface derrière les références aux jeux vidéo et aux plate-formes. Cette facilité s’était déjà laissé entrevoir l’année passée chez Netflix, avec la mise en ligne de leur productions originales Extraction de Sam Hargrave et The Old Guard de Gina Prince-Bythewood. Omniprésence des codes vidéoludiques dans la narration, Surenchère exténuante de (faux) plans-séquences dans le rythme des scènes d’actions… Les films de divertissement se perdent dans une quête à créer de l’adrénaline chez les spectateurs, s’épuisant à reproduire un format qui ne s’adapte pas à leur dispositif. Résultat? Une majeure partie de Hollywood s’égare dans la création d’images qui se regarderont mieux sur un moniteur d’ordinateur ou une console que sur Grand Écran. À l’heure où le milieu du Septième Art cherche à se réaffirmer et à raviver le système des sorties en salles, le cinéma de divertissement américain espère trouver preneur chez les aficionados de jeux vidéo, quitte à reproduire une partie sur le service de streaming vidéo Twitch, à défaut de produire du vrai contenu cinématographique.
Auteur, cette semaine, d’un essai sur le réalisateur Federico Fellini pour le Harper’s Magazine, Martin Scorsese a profité de l’occasion pour s’exprimer sur l’avenir du Cinéma dans les pages du mensuel new-yorkais. Il y dénonce une méthode de consommation des films impulsive engendré par les services de VOD, et une disparition des valeurs culturelles liées au Cinéma.
« [Le terme de « contenu »] est peu à peu devenu un mot commun au sein des compagnies de médias, repris par des gens qui ne connaissaient rien de l’histoire de l’art ou qui ne s’y intéressaient pas. C’est devenu un terme de business désignant aussi bien un film de David Lean qu’une vidéo de chat, une publicité du Super Bowl, une suite de super-production ou un épisode de série. C’était lié, bien sûr, non pas à l’expérience du cinéma dans une salle obscure, mais à la maison, sur des plateformes de streaming. (…) Le fait de présenter toutes sortes de films comme du contenu a créé cette situation où tout est présenté au même niveau au spectateur. (…) Nous devons aussi faire comprendre à ceux qui détiennent les droits de ces films qu’ils représentent bien plus qu’un produit qui peut être exploité puis balancé. Ce sont les plus grands trésors de notre culture et ils doivent être traités ainsi. Je pense qu’on devrait redéfinir notre notion de ce qu’est le cinéma. Et de ce qu’il n’est pas ».
-Martin Scorsese,
Plus que jamais l’achat du ticket de cinéma aura une portée politique en cette période de crise. Afin de lutter contre la perte identitaire de l’art cinématographique, chaque cinéphile se devrait de soutenir les films qu’il aime voir en se déplaçant dans les salle de cinéma. Il est crucial de défendre à la fois un héritage culturelle et audiovisuel afin de maintenir des champs d’expressions et de créations propres d’exister dans le futur.
Victor Colt. 17 février 2021. Montréal
Lien pour l’article de Martin Scorsese dans Harper’s Magazine
SCORSESE, Martin. Il Maestro, Federico Fellini and the lost magic of cinema. Harper’s Magazine. March 2021. https://bit.ly/3jYjPWW
Lien pour l’extrait traduit proposé par Elodie Bardinet dans Première
BARDINET, Elodie. Martin Scorsese : « Le cinéma est dévalué au rang de contenu ». Première.fr, 17 février 2021. https://bit.ly/2N8bzbe
A part Scorsese, on dirait en effet qu’il n’y a plus grand monde pour sonner l’alarme face à la menace de cet amalgame inquiétant. Avec la fermeture des salles, on finit par oublier même jusqu’à l’existence de cet art. C’est effrayant, mais pas inéluctable.
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