REVIVAL #1 Fear And Loathing in Las Vegas

Sous la bannière d’Arcalux, Plan A vous propose REVIVAL,une série d’article qui reviennent sur certains films, devenus cultes malgré le véritable flop au box-office à leur sortie. Il s’agira d’analyser l’évolution de ces long-métrages qui aurait pu/du tomber aux oubliettes.
Pour ce premier épisode, on repart sur les routes désertiques vers la débauche de Fear And Loathing in Las Vegas, le neuvième film de Terry Gilliam, sorti en 1998.

Le réalisateur britannique, ancien membre de la troupe des Monthy Python, est accoutumé au fait de voir ses films faire des bides monumentaux durant leur exploitation en salle avant de se bonifier aux yeux du public au fil des années. Loufoque, absurde, cynique, glauque… l’univers du cinéaste cumule les étiquettes qui ferait reculer beaucoup de spectateurs non-initiés. Pourtant sur le papier, le projet de réalisation du roman du journaliste ‘Gonzo‘ Hunter S. Thompson par le réalisateur de Brazil (1985) devait faire saliver les cinéphiles… Mais la réalité s’est montré cruelle. Le film n’a cumulé que la moitié de son budget au box-office.

Donc, un public pas vraiment au rendez-vous dans les salles de cinéma. Mais la pop-culture transpire continuellement des références et des citations à Fear And Loathing in Las Vegas. De la conversation sur l’ours polaire dans Grand Theft Auto : San Andreas (2004), à l’apparition de l’auteur dans l’épisode 10 de la saison 10 des Simpson (1989-), en passant par la chanson Bat Country du groupe de heavy metal Avenged Sevenfold (2005), Fear And Loathing in Las Vegas fascine et inspire. Pourquoi ce film a-t-il rencontré le succès qu’il mérite via sa deuxième vie en vente de VHS et DVD?

,Benicio Del Toro, Terry Gilliam et Johnny Depp au Festival de Cannes, le 15 Mai 1998.

Mauvaise Presse
Le film fait partie de la sélection officielle du Festival de Cannes en 1998. Après sa projection sur la Croisette, les critiques sont assassines. Le film est jugé poussif et risible pour certain, irregardable pour d’autres. À cause de son aventure cannoise, Fear And Loathing in Las Vegas see met à tous une bonne partie de la planète cinéphile. Du côté du grand public ça n’ira pas mieux, la fanbase de Johnny Depp n’est vraiment pas friande de la métamorphose de l’acteur pour joué le rôle de l’alter-ego de l’auteur du roman. De plus, le côté « stoner » de l’histoire ne charme personne à l’époque… En bref, tout le monde passe à côté du film…

Nevada Rising
Avec les années, les copies de Fear And Loathing in Las Vegas circulent enfin entre les mains des spectateurs et gagne enfin l’imaginaire collectif. Alors, miracle de la vidéo? magie du second visionnage? ou une nouvelle génération plus réceptive au film que ses aïeuls? Probablement ces trois raisons à la fois expliquent la renaissance du film de Gilliam. Il aura fallut quelques années supplémentaires pour convaincre le public que l’alliance cinématographique entre Gilliam, Thompson, Depp et Del Toro fait office de Mariage tant leur collaboration aura été porteuse d’une épopée psychédélique pleine de sens.

Hunter S. Thompson



On The Road Again
Pour comprendre la richesse de Fear And Loathing In Las Vegas, il faut replonger dans le coeur du mythe du Rêve Américain dans lequel une grande part est accordée au road trip. Le voyage est le symbole de renouveau pour l’Homme débarqué sur le Nouveau Continent. Il représente l’espoir dune vie meilleure, via un abandon du passé (de l’Est) pour se tourner vers un futur prometteur (vers l’Ouest). Beaucoup de récit initiatique (et fondateur de la culture américaine contemporaine) reprennent cette archétype de traversée, comme par exemple Les raisins de la Colère de Steinbeck (1939). Dans les années 1960, le road trip prend une nouvelle dimension. Influencé par les écrits de la Beat Generation (Sur la route de Jack Kerouac) et porté par le mouvement hippie, ces grandes escapades dans l’Ouest américain deviennent symbole de liberté, d’empowerment et de reconnection avec la nature. Comme un paradoxe des vaste étendus arborés durant le voyage, Le road trip s’avère alors être une grande aventure intérieur pour tous ceux qui sont des vagabonds dans l’âme. D’ailleurs, c’est un élément que l’on retrouve énormément dans le cinéma indépendant américain du moment, appelé ‘Le Nouvel Hollywood’ avec des oeuvres fondamentales comme Easy Rider (1969) ou Zabriskie Point (1970).

Las Vegas Parano
Et puis arrive l’année 1971, période à laquelle se déroule Fear And Loathing In Las Vegas. L’ère Peace&Love est révolue, Nixon est au pouvoir et la guerre au Vietnam fait rage… L’Amérique s’enfonce dans la spirale destructrice de la violence et tout les idéaux de la contre-culture hippie ne sont qu’une douce utopie nostalgique.


C’est dans ce cadre là que l’on retrouve nos deux protagonistes principaux.
Le reporter Raoul Duke (Johnny Depp) doit se rendre à Las Vegas pour couvrir une cours automobile dans le désert du Nevada. Il est accompagné de son compère le Dr. Gonzo (Benicio Del Toro). Et c’est au volant d’une Chevrolet rouge, que l’aventure est imminente, lorsque que quelque part aux alentours de Barstow, les drogues ont commencé à faire effet…
Car oui, nos deux comparses sont addictes aux psychotropes et auront énormément de mal à se sevrer tout au long su récit. Comme beaucoup de ses écrits, Fear And Loathing In Las Vegas se base en grande partie sur des évènements vécus par l’auteur et retranscrit de manière très subjective (C’est le principe fondamentale du journalisme Gonzo). Par conséquent, le brio de la mise en scène de Gilliam réside dans ce partis pris, intégrer la pensée de l’auteur comme voix-off au coeur du film, pour créer ce décalage entre la vision des personnages principaux et le reste des protagoniste, c’est-à-dire le reste du monde.

So Long, Flower Power…
Au premier abord, le clash entre Duke et Gonzo sous l’influence de leurs cocktail de dope avec la société a de quoi faire sourire. C’est pourtant dans ce côté de stoner-movie déjanté que réside le coeur le noeud dramatique et déchirant du film.
Car au fur et mesure de leurs péripéties sous hallucinogènes, le public se prend de sympathie pour les deux camés mais pas le reste des protagonistes.
En réalité ce que Duke et Gonzo cherche à faire, c’est de revivre le rêve du Peace&Love. Ce sont les dernier hippies, tous les autres personne s’embourgeoisent déjà dans la société de consommation et façonnent le modèle des futurs boomers. Et c’est pour ça que le décalage entre Duke et Gonzo avec la société et si grand et violent. Ils n’ont toujours pas fait le deuil du mouvement de la contre-culture. Ce qui explique pourquoi ils s’enlisent continuellement dans la défonce, dans l’espoir vain de retrouver l’essence de ce qu’était le rêve américain durant les années 1960.

Duke et Gonzo (comprendre ici qu’il s’agit bien de Thompson et de son comparse Oscar Zeta Acosta) sont donc perçu comme des sociopathes, alors qu’ils sont en réalité seulement marginaux d’un système auquel ils ne peuvent s’adapter. Ils ont énormément de la difficulté à comprendre les valeurs d’une institution capitaliste qui valorise la guerre et la surproduction, que des principes en désaccord avec les valeurs simples et pacifiques du mouvement hippie. Les deux acolytes se plongent donc dans la drogue comme échappatoire, mais les propriétés hallucinogènes ne font que ressortir ce qu’ils veulent refouler la peur du monde « moderne » et la paranoïa suite à la perte de leurs repères moraux.

Boys Gone Wild
Fear And Loathing in Las Vegas déconstruit le mythe du Rêve américain en insistant bien sur la dure réalité, celle d’une société matérialiste déjà condamné dans la course à l’endettement et l’encrassement. Le film est un véritable road-movie, sa particularité étant qu’il ne dresse pas le traditionnel itinéraire d’Est en Ouest » À la place, il montre l’errance des deux personnage dans la capitale de la superficialité même… Las Vegas. C’est ce que Terry Gilliam a su parfaitement retranscrire, développer l’empathie pour deux junkies qui sont en réalité plus sensés que le commun des mortels (incluant aussi le public). Avec son utilisation qu’on lui connait des longues focales pour des plans rapprochés sur le visage de ses personnages, Gilliam fait ressortir la part de monstruosité qui sommeille dans chaque civil qui se complait dans le mode de vie (le nôtre) qui est décrié ici.
C’est dans ce blâme acerbe et corrosif de la société post-sixties que Fear And Loathing in Las Vegas fait encore plus écho au films du Nouvel Hollywood.

Il y a donc le trip de la route, mais aussi le trip psychédélique du reporter. Jugé comme instable. Car sous influence, il est vrai qu’il développe un côté très bestial et sauvage face au conformisme ambiant de l’Amérique nixonienne. Pourtant quelque part, c’est avec cette évasion hallucinante qui se raccorde avec ses valeurs profondes, celle de la tolérance, de la suffisance et du retour à la nature. Cette révélation germe au fil de la narration du film. Alors que le ton était donné depuis le début. En effet, le film s’ouvre sur la fameuse citation de l’écrivain britannique Dr. Samuel Johnson: « Celui qui se transforme en bête, se délivre de la douleur d’être un homme. » Ce qui démontre bien qu’à travers ce trip hallucinogène, il y a bien une émancipation du héros pour fuir les rouages de l’ère conservatrice qui s’en vient sur le sol américain.

Voilà pourquoi, sans doute, il aura fallu du temps à Fear And Loathing in Las Vegas de Terry Gilliam pour trouver son public et être apprécié à sa juste valeur. Comme beaucoup d’autres oeuvres de sa filmographie, on y retrouve la critique de la modernité et l’aliénation de l’homme qu’elle entraîne avec elle. Toutefois, Fear And Loathing in Las Vegas est surement le film du réalisateur le plus mélancolique. C’est cette mélancolie qui a probablement séduit toute une nouvelle génération de spectateur qui revient à son tour d’émancipation et d’échappatoire, loin des carcans de la société actuelle.
Fear And Loathing in Las Vegas restera une oeuvre cinématographique hors du temps, pure produit des années 1990 au parfum évocateur des seventies, teintée d’un goût d’acide et d’un sentiment onirique.

Victor Colt, 01 septembre 2020, Montréal.

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