Il y a quelques semaines, Netflix a annoncé sur leur plateforme l’arrivée d’un film espagnol intitulé The Platform. La bande-annonce promettait : des individus se retrouvent dans des espèces de cellules toutes identiques, montées les unes sur les autres avec un énorme trou béant en plein centre. De ce trou béant descend à chaque jour une plateforme sur laquelle se trouve de la nourriture, ou plutôt les restes de nourritures, puisque la plateforme doit passer par tous les étages du haut avant d’atteindre les étages inférieurs.
Le protagoniste, Goreng, est l’un des seuls occupants de la fosse (le nom de cette prison) à s’être admis par lui-même, dans le but d’arrêter de fumer. Il y a trois types de personnes qui habitent la fosse : ceux qui sont en haut et ont accès à la nourriture, ceux qui sont en bas et n’y ont pas accès et finalement, ceux qui tombent.

Le récit s’installe donc sur une prémisse semblable à celle de Cube de Vincenzo Natali. Cependant, là où Cube a réussi à construire un récit où la nature humaine était intéressante à suivre par des personnages colorés, caractérisés rapidement, mais avec des nuances dans un espace chaotique et dont la compréhension nous échappait du début à la fin : The Platform a de la difficulté à savoir réellement ce qu’il doit être.
Les premières secondes du film donne le ton. Une musique franchement angoissante, des plans très beaux de repas en train de se faire préparer, suivis d’un très gros plan sur un œil qui s’ouvre. La mise en situation est réussie et l’attention du spectateur est immédiatement captée. C’est dans la suite que le tout se corse, à commencer avec des personnages franchement plats, qui ressemblent plus à des personnages valises que des entités vivantes. Les dialogues et surtout les actions des différents personnages qui viendront entourer le protagoniste semble calculés au millimètre près, de sorte qu’on est rarement surpris de l’action d’un personnage. Il s’agit à mon avis de la plus grande faiblesse du film.
Cependant, certains de ces personnages sont mémorables malgré tout : Étant tous des caricatures, cela permet d’exacerber certaines de leurs caractéristiques, les rendant difficiles à oublier. Un autre point positif du film à mon avis est le traitement de la lumière. La lumière fait vivre les scènes et vient indiquer exactement quel genre d’émotion le spectateur devrait être en train de vivre lors d’une scène lambda. La même chose pourrait être dites de la musique, qui sait se faire discrète tout en étant en mesure d’ajouter du suspense dans les scènes où elle se trouve.
Un autre problème quant à ce film est la narration, qui est à mon avis assez inégale. Sans grande subtilité, on cherche à nous montrer que la majorité de l’humanité est mauvaise et vouée à s’auto-détruire, mais que certaines personnes sont méritantes et cherchent à améliorer le sort de l’humanité. Cependant, en se fiant uniquement à ce contexte à proprement dit, la leçon que l’on est supposé tirer de l’histoire ne fait pas de sens et la fin est également vide de sens.
Heureusement, grâce à d’autres niveaux d’analyses, il est possible de tirer d’autres conclusions du dénouement qui permettent à celui-ci d’être plus complet. Ce serait normalement quelque chose de très positif, mais dans ce récit, on ne peut avoir de conclusion réelle sans en venir à des suppositions provenant d’indices très faibles. Je vous encourage quand même à voir le film avant de continuer la lecture de ce texte, puisque je vais entrer en plus de détails sur certains points soulevés dans cette première partie. Vous pouvez également continuer la lecture si les « spoilers » ne vous dérange pas.

Spoilers/divulgacheurs
Si les personnages de Cube, comme évoqué précédemment, étaient remplis de nuances, ceux de The Platform sont très souvent unidimensionnels, mis à part Goreng, qui, je dois l’admettre, possède plus d’une facette. Pour ce qui est des autres, il y a tout d’abord Trimagasi, le compagnon de cellule de Goreng, qui sert de personnage-clé permettant d’obtenir des informations sur la fosse. Trimagasi est à la fin de son séjour dans la fosse au début de l’histoire et possède donc plusieurs informations provenant de ses observations. On remarque d’ailleurs rapidement que malgré ses connaissances, Trimagasi assume beaucoup plus qu’il ne sait avec certitude. Devant les questions de Goreng, il répond presque chaque fois par « Obvio », signifiant évident ou évidemment en espagnol. Pour Trimagasi, le confinement dans cette prison et son fonctionnement est logique et est attribué à la nature de l’être humain. Les gens du dessus sont égoïstes, faisant que ceux du bas n’ont pas assez de nourritures pour manger convenablement. Il y a donc des gens qui vont mourir dans les étages du bas à cause du manque d’humanité et de retenue des prisonniers des étages supérieurs. Trimagasi se définit alors comme un personnage très pessimiste, ne croyant pas à la rédemption pour le monde (la fosse étant une métaphore assez évidente d’un système capitaliste où les faibles ont les restants des riches et puissants).
Cependant, Trimagasi est capable de voir le bien chez Goreng et lui confie que c’est ce qui va faire que Goreng ne survivra pas à la fosse, puisque ce monde est beaucoup trop dur pour quelqu’un d’optimiste comme lui. Après la mort de Trimagasi, provoquée par Miharu, Goreng se retrouve dans la même cellule qu’Imoguiri, une femme qui travaillait pour la fosse. C’est elle qui, avant les incidents, a prise les informations de Goreng avant qu’il soit envoyé dans la fosse. Si Trimagasi symbolisait le côté pragmatique et cynique de l’humanité, Imoguiri elle, vient au contraire symboliser l’optimisme niais de certains membres de l’humanité. Pour elle, la communication et le pacifisme sont essentiels afin de réussir à régler les problèmes. Cette approche est risible, surtout quand après une dizaine de jours à essayer de convaincre l’étage du dessous de se rationner, c’est Goreng qui y parvient en menaçant de déféquer dans la nourriture. Puis, à la suite du suicide d’Imoguiri, Goreng se retrouve avec Baharat, un cliché de personnage afro-américain fanatique religieux. Baharat est sans doute le personnage le moins bien écrit du récit, puisque sa seule et unique fonction est d’être les muscles pour le plan de Goreng. Il est simplet et sympathique, absolument transparent, bref, le personnage-valise par excellence.

Là où la caractérisation est intéressante, c’est dans le personnage de Goreng, qui va alors se retrouver comme un complément aux autres personnages. Avec Trimagasi, cette complémentarité va se traduire par une amitié sincère, mais où Trimagasi va être la figure paternelle très terre-à-terre, alors que Goreng va être le personnage plus optimiste et rêveur. Avec Imoguiri, ce rapport est renversé : c’est Imoguiri qui prend le côté optimiste et Goreng qui devient cynique. Puis, avec Baharat, Goreng devient un amalgame de toutes les caractéristiques principales des personnages présentés : L’optimisme d’Imoguiri, le côté très réaliste de Trimagasi et l’aspect croyant en une force supérieure de Baharat, sans oublier la violence et la détermination de Miharu. D’ailleurs, j’ai peu parlé de Miharu et avec raison : c’est le personnage le plus mystérieux du récit. Miharu est une femme qui descend sur la plateforme à chaque mois à la recherche de son enfant, qui serait quelque part dans la fosse. Goreng au départ a pitié d’elle et tente de l’aider, comprenant qu’elle n’a pas besoin d’aide seulement lorsqu’elle tue deux hommes qui ont tenté de la violer à l’étage inférieur. On pourrait presque croire que Miharu n’existe pas, qu’elle n’est que le fruit de l’imagination de Goreng, la partie sombre de lui, son opposé qui le complète également, mais sa présence est remarquée par les autres personnages et elle finit par mourir dans sa quête.

J’ai comparé à plusieurs reprises The Platform à Cube, un excellent film de genre qui se veut également un cas d’étude sur la nature humaine. Je crois que là où Cube s’est démarqué de ce genre de film, vers la fin des années 1990, est par la façon dont l’intrigue est approchée par la narration. Comme dans The Platform, chaque personnage remplit une fonction visant à soit aider les protagonistes dans leur quête de sortir du cube, soit à apporter des éclaircissements face à la situation dans laquelle ils se trouvent. Et c’est précisément dans cet aspect que The Platform échoue, puisque dans les quinze premières minutes, tout l’univers et tout le mystère entourant ce lieu est révélé (peu subtilement) par Trimagasi. On se retrouve donc à avoir une explication 100% rationnelle face à un lieu qui semble complètement dément et il s’agit pour moi de l’un des plus grands défauts du film. Si l’intrigue avait, par exemple, laisser le spectateur et Goreng dans la noirceur la plus totale face à la création de la fosse et son fonctionnement, le tout aurait été à mon avis beaucoup plus prenant : ni le spectateur, ni Goreng ne saurait à ce moment le ressort de la fosse, faisant que d’élucider ce mystère pourrait être encore plus intéressant. Qui plus est, cela aurait pu grandement jouer sur le sens et le symbolisme du récit. En apprenant que la fosse a été créée par des hommes, Goreng se rendrait alors compte de toute la déchéance humaine qui se perd dans sa propre décadence à l’intérieur des murs de la fosse, image reflet de la société.
J’ai dit beaucoup de mal de The Platform, mais je crois tout de même qu’il s’agit d’un film intéressant méritant d’être écouté. Certes, il souffre de quelques défauts dont j’ai beaucoup parlé, mais il n’en demeure pas moins un bon exercice de style qui se penche (avec peut-être trop peu de subtilité) sur la nature humaine pour en venir à un constat cynique sur la société. Le film découle sur plusieurs pistes de réflexion, dont une très évidente faisant un lien entre Goreng et Jésus, sans parler des différentes références à Don Quichotte parsemées tout au long du récit. Je vous encourage donc à le visionner, mais sans vous attendre nécessairement à quelque chose de grandiose, juste un film intéressant qui rempli bien une soirée.
Samuël Larivière
5 mars 2020. Montréal. Arcalux.ca