Contagion : Quand un film de 2011 est d’actualité en 2020

Note : 4 sur 5.

Nous sommes en septembre 2011. Cela fait maintenant un peu plus d’un an que la H1N1 a été éradiqué grâce à un vaccin distribué au travers du monde. Au total, plus de 10 % de la population mondiale a été touchée par le virus, faisant entre 150 000 et 575 000 morts. Steven Soderbergh, après avoir réalisé la trilogie sur Danny Ocean et The Informant!, décide de s’attaquer à ce sujet, dans le but de recréer à l’intérieur d’un film une vision très pragmatique de l’environnement social lors d’une pandémie. À la suite d’un projet de film avorté traitant de la transmission d’une idéologie nocive, Soderbergh et Scott Z. Burns, scénariste du film, décident de se rabattre sur un évènement qui pourrait arriver dans un futur proche. Ils se retrouvent rapidement avec un bon budget de 60 millions de dollars (sûrement grâce aux quatre derniers films de Soderbergh qui furent des réussites commerciales) et une brochette d’acteur à faire saliver : Outre Matt Damon (The Martian), acteur fétiche du réalisateur, on y retrouve Gwyneth Paltrow (Iron Man), Laurence Fishburne (The Matrix), Jude Law (Cold Mountain), Kate Winslet (Titanic) et Marion Cotillard (Deux Jours, Une Nuit), pour ne nommer que ceux-ci.

Le public de l’époque aurait pu s’attendre alors à un film assez classique comme ont pu l’être Outbreak (1995) ou The Happening (2008), Soderbergh et Burns décident plutôt d’approcher le récit sans entrer dans le dramatique personnel : On raconte dans Contagion la vie d’un virus et non pas d’une personne en particulier. Le film commence lorsque les premiers individus sont infectés et se termine lorsqu’il est éradiqué. Dans le film, il n’y a pas d’avant MEV-1, ni d’après, il n’y a que le virus afin que le récit se concentre entièrement sur lui. C’est l’élément qui, à mon avis, fait du film un outil intéressant d’analyse quand arrive un évènement comme l’avènement d’une nouvelle pandémie, la COVID-19.

Avant d’entrer plus en détail dans l’analyse du film vis-à-vis de notre situation actuelle, je vais rapidement résumer le film pour ceux qui ne l’ont pas vu. Cependant, je vous encourage fortement à l’écouter, si vous avez le temps (et vous l’avez, puisque nous sommes en quarantaine), puisqu’il s’agit d’un très bon film, disponible sur Netflix. Le film débute alors que le personnage de Gwyneth Paltrow est infecté par le virus, entrainant sa mort subite devant les yeux de son mari, Mitch, joué par Matt Damon. En parallèle, le docteur Cheever (Laurence Fishburne), chef du CDC (Central of Disease Control) et la docteure Mears (Kate Winslet) travaillent de pair afin de trouver l’origine du virus. Pendant que Mears trouvent des indices et rencontre Mitch, Cheever mandate la docteure Hextall (Jennifer Ehle) de trouver un vaccin. Les informations sont lentes à arriver et Alan Krumwiede (Jude Law), un conspirationniste, se met à publier de fausses nouvelles sur son blog quant au virus, causant un état de panique et d’aggravation chez la population Nord-Américaine. Au même moment en Chine, où le virus serait originaire, une épidémiologiste de l’ONU (Marion Cotillard) envoyée pour enquêtée est capturée par un membre de gouvernement dans le but d’être utilisée comme monnaie d’échange afin d’obtenir des vaccins pour son village plus rapidement. Après plusieurs mois de chaos, d’essais et d’erreurs, un vaccin est mis en place et les populations sont lentement vaccinées.

Ce qui démarque Contagion des autres films du même style est sans aucun doute la diversité des personnages que l’on suit au travers de la narration. Cette abondance de personnages aurait pu rendre complexe l’intrigue, mais Soderbergh s’en tire en caractérisant chaque personnage très rapidement : Mitch est monsieur tout le monde, Cheever est la figure proéminente exposée à la face du monde, Mears est sur le terrain, Hextall est en laboratoire, Alan est fourbe et le personnage de Marion Cotillard est isolé en Chine. Le spectateur n’a alors d’autres choix que de regarder les scènes défiler devant lui d’un point de vue détaché de la situation, ce qui à mon avis est autant positif que négatif. D’une part, ce détachement permet à la narration et au spectateur de se concentrer entièrement sur le virus. Le sort des personnages nous importe, certes, mais on veut surtout connaître l’origine du virus et voir celui-ci être éradiqué. D’un autre côté, on a alors de la difficulté à s’identifier aux personnages qui nous sont présentés, ce qui cause un décalage entre toute la tension et le chaos présenté à l’écran. Il y a une scène où la maison de Cheever se fait cambrioler et sa femme est menacée par des conspirationnistes, mais puisque le spectateur à une relation très en surface avec le docteur, on a de la difficulté à réellement s’impliquer émotionnellement dans cette scène. On peut cependant s’identifier davantage au personnage de Mitch, puisqu’il est un « everyman ». Père de famille sans connaissances médicales ou scientifiques, le personnage de Matt Damon devient alors un vecteur pour le spectateur qui est autant perdu que lui dans toute cette histoire. Seulement, le spectateur détient beaucoup plus d’informations que Mitch, empêchant une identification totale avec le personnage.

Un élément jouant également en faveur de ce point de vue omniscient est la neutralité avec laquelle sont présentés les personnages. Certains agissent parfois dans l’excès ou avec des motifs personnels, entre autres Mitch qui est très agressif quant à la sécurité de sa fille, Cheever qui donne des informations confidentielles à sa femme pour la protéger ou le membre du gouvernement chinois qui kidnappe le personnage de Cotillard. Cependant, toutes ses actions sont faites par instinct de survie pour une personne ou un groupe. De ce fait, on pardonne facilement les écarts de conduites des personnages, même si ceux-ci peuvent alors causer un problème à d’autres personnages hors-champ. C’est un peu la même chose lorsque l’on regarde la situation actuelle avec la COVID-19. En effet, lorsque la pandémie a été annoncée en Amérique du Nord, plusieurs centaines de personnes se sont rués sur les grands magasins afin de s’équiper en papier de toilette, nourritures, masques et désinfectant, dans le but avoué de se préparer au pire. Cette réaction excessive de la plupart des individus aurait cependant causé plus de torts que de bienfaits : les gens qui se ruaient vers ces denrées ont créés des agglomérations, rendant plus facile la propagation du virus. En accumulant plusieurs denrées non-nécessaire à leur survie, ces gens ont également placé les personnes plus vulnérables au virus dans une situation très précaire. Les individus ayant fait ses actions n’ont cependant pas voulu le faire dans une optique de nuire à un groupe, mais dans l’optique de survivre d’abord et avant tout, devant une situation qui les dépassaient. On peut donc critiquer les choix faits par ses individus, mais il devient difficile de porter un jugement lorsque l’on comprend que les agissements de ce groupe ont été stimulés par la peur.

À l’autre bout du spectre, Burns et Soderbergh ont cru bon d’insérer un personnage qui servira de bouc émissaire aux agissements extrêmes de certains personnages lambdas. Alan, un bloggeur conspirationniste, viendra alors porter le blâme des côtés plus sombres de l’humanité que Soderbergh visitera dans le film : Meurtre, cambriolage, violence, chaos, rien ne semble trop gros pour montrer comment les conséquences des actions de ce personnage sont désastreuses. Il faut dire que si les personnages agissent de façon stupide dans une optique compréhensible et rationnelle qui vise à aider les gens qu’ils aiment, Alan est motivé par une seule variable : la popularité. Il mentionne à répétition le nombre de lecteurs de son blog au travers du film et pour s’assurer d’en avoir plus, va constamment mentir et inventer des histoires dans le but de semer la peur chez le peuple. Il parle d’abord du MEV-1 comme d’une arme bactériologique plutôt qu’un virus, puis indique que le gouvernement a déjà un vaccin qu’ils cachent au public et clou le cercueil en inventant qu’il a été atteint de la maladie et qu’il est parvenu à guérir grâce à un remède homéopathique à base de forsythia, une fleur. On apprendra bien plus tard dans le film qu’Alan n’a jamais été infecté et qu’il a utilisé sa notoriété pour causer plus de chaos et de doute dans l’esprit d’un peuple qui était déjà affolé à la suite de l’annonce d’un virus violent avec un taux de mortalité de 20 %. Il y a une tendance ici à observer également avec le monde réel. Récemment, plusieurs partagent des articles provenant de sites louches sur ce sujet. Le virus serait une arme bactériologique, un complot gouvernemental, on viserait à contrôler le peuple. Certains poussent même jusqu’à dire que les célébrités qui auraient contractés la COVID-19 seraient en réalité sous enquête pour des crimes variant de fraude au trafic humain.  Jusqu’à maintenant, peu de gens semblent croire ses conspirationnistes, mais si de plus en plus de gens venaient à croire ces inepties et que la quarantaine serait prolongée, le chaos imaginé par Soderbergh pourrait peut-être malheureusement réalité.

Si je devais décrire l’ambiance mondiale actuelle et le film Contagion en un seul mot, j’emploierais le même, soit angoissant.  Tout est angoissant dans le film de Soderbergh, autant les plans de caméra qui semblent toujours se rapprocher sur les personnages que la musique oppressante de Cliff Martinez (Drive, Solaris) qui berce les moments silencieux, sans oublier la narration qui sait donner juste assez d’informations au spectateur afin qu’il soit à la fois informé et dans le néant le plus total. Un parallèle assez évident se trace alors avec notre quarantaine actuelle. La majorité de la population mondiale éprouve une certaine angoisse face à ce défi qui se dresse devant nous. Nous sommes plusieurs à nous réfugier entre les quatre murs de notre maison, à attendre les prochaines nouvelles, les prochaines directives, ne sachant jamais ce qui se passe réellement à l’extérieur. Des gens vont mourir, d’autres feront des énormités en pensant bien faire et d’autres profiteront de la situation pour gagner quelques clics et cause du chaos. Dans tous les cas, on sait que la COVID-19 est sur terre pour quelques mois, que l’on devra composer avec les défis qu’elle nous apporte et que d’ici un an ou deux, on ne se souviendra plus du patient zéro. Il y a eu un avant COVID-19 et il y aura un après COVID-19, mais en attendant, puisque nous sommes confinés à l’intérieur de notre chez soi, pourquoi ne pas en profiter devant un bon film?

Note : 4 sur 5.

Samuël Larivière

19 mars 2020. Montréal. Arcalux.ca

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